Enhanced Green Fluorescent Protein,
Quand la protéine fluorescente verte rencontre l’art

Enhanced Green Fluorescent Protein. When the green fluo protein meets the art

Alexandra BOUCHERIFI

Résumé

Si les évolutions scientifiques éveillent l’intérêt des artistes, la génétique et la biotechnologie autorisent depuis quelques années l’invention de nouveaux imaginaires. L’utilisation de la protéine verte fluorescente, une substance luminescente présente à l’état naturel dans une méduse, permettant de multiples actions en biologie et chimie du vivant, inspire le monde de l’art contemporain.

Abstract

Artists are inspired by scientific developments, and recently, biotechnology and genetic engineering have provided the chance to create new imaginary worlds. The use of green fluorescent protein, a luminescent substance naturally present in a jellyfish, which allows for multiple actions in biology and chemistry of life, inspires the world of contemporary art.

De la découverte et amélioration de la Green Fluorescent Protein

De nombreux organismes vivants terrestres tels que les lucioles ou les vers luisants sont capables d’émettre de la lumière par un phénomène appelé bioluminescence, grâce à des réactions enzymatiques. Ce phénomène se rencontre également dans les océans mais il y existe également des animaux émettant de la fluorescence (émission de lumière suite à une excitation lumineuse d’une autre couleur), notamment des coraux, des anémones et des méduses, à l’instar de la méduse Aequora victoria contenant un gène codant pour une protéine fluorescente verte (Green Fluorescent Protein : GFP).

Découverte au début des années 1960 par le scientifique japonais Osamu Shimomura, ladite protéine fera par la suite l’objet de recherches et d’améliorations par plusieurs scientifiques dans les années 1990. Le biologiste moléculaire américain Douglas Prasher réussit le clonage du gène codant pour la GFP. Le biologiste américain Martin Chalfie arrive à utiliser pour la première fois cette protéine en tant que marqueur cellulaire. Et le biochimiste américain Roger Y. Tsien, améliore la GFP dans les années 90 et la renomme EGFP pour Enhanced Green Fluorescent Protein (enhanced : améliorée), permettant ainsi l’utilisation massive de ce biomarqueur avec les microscopes à fluorescence du monde entier pour l’exploration cellulaire et la visualisation de protéines d’intérêt et l’expression de gènes in situ.

Suite à l’ensemble des recherches, le gène de la GFP revêt désormais trois fonctions : marqueur cellulaire, gène rapporteur ou marqueur moléculaire. En 2008, grâce à leurs travaux successifs sur la GFP, Osamu Shimomura, Martin Chalfie et Roger Y. Tsien deviennent corécipiendaires du prix Nobel de chimie ( et non de médecine comme nous pourrions le supposer, preuve des interactions modernes entre les disciplines scientifiques).

Virgile Adam, chercheur au CNRS, docteur en Biologie Structurale et Nanobiologie ayant soutenu une thèse sur les protéines fluorescentes photoactivables en 2009 fournit quelques précisions sur l’EGFP en indiquant dans son corpus que :

« Un nombre remarquablement élevé d’applications en biologie moléculaire ont fleuri la même année (Prasher 1995) avec le marquage efficace de protéines d’intérêt avec la GFP(…) La structure de sa version améliorée EGFP ne sera publiée que 15 ans plus tard (Royant et Noirclerc-Savoye, en 2011). » (Adam, p.20)

De l’application au monde de l’art

La porosité du monde de l’art et de celui de la science sont telles que ces découvertes inspirent immédiatement les acteurs de l’art contemporain.

En premier lieu, au début du millénaire, pionnier du BioArt (terme qu’il invente en 1997), Eduardo Kac, s’illustre notamment avec Alba, une lapine de laboratoire, à l’origine albinos, génétiquement modifiée avec la GFP pour devenir verte fluo. Avec Alba, l’artiste américano-brésilien inaugure, dit-il, l’art transgénique, à savoir un art utilisant le génie génétique pour produire « des êtres vivants inédits ».

En 2013, l’artiste autrichienne Sonja Bäumel expose à Ars Electronica, festival axé sur les relations entre art, technologie et société. Elle y présente une partie de ses travaux sur l’empreinte bactérienne humaine. Avec Metabodies, Sonja Baümel parvient à relever l’empreinte biologique du corps humain grâce à une bactérie modifiée à l’aide de la protéine fluorescente verte lorsqu’elle se trouve en quantité suffisante (quorum sensing).

Quelques années plus tard, en 2017, en tant que plasticienne et signant nos travaux ABK, nous travaillons sur le potentiel créatif du corps humain par modification génétique, que nous cherchons à traduire en peinture. Imaginant la peau de notre main hybridée avec celle d’un caméléon multicolore (un Furcifer pardalis ou « caméléon panthère ») et de la GFP, nous créons un certain nombre d’esquisses aquarellées. Nous utilisons également l’hybridation entre peinture et IA pour générer des images de notre main génétiquement modifiée. Suite à une sélection, nous élaborons une peinture pigmentaire de la main humanimale inspirée par l’image obtenue par l’IA. Une fois l’œuvre accomplie, celle-ci se voit reliée à des visuels en réalité augmentée permettant de découvrir son double en IA et un poème peint lorsque l’on scanne la peinture pigmentaire. La peinture ainsi augmentée n’est complète qu’avec un dispositif olfactif dégageant un parfum inattendu, loin de celui de la peau humaine, qui aurait lui aussi pu être obtenu en hackant le derme ou l’épiderme par ingénierie génétique. Cette projection nous plonge dans la relation intime qu’entretient l’humain avec la nature face à la technologisation du corps et nous interroge sur les problématiques éthiques de manipulations du vivant, tout en soulevant de potentielles questions d’identités d’espèces pouvant surgir en conséquence des découvertes et recherches en biochimie. Il s’agit donc d’une approche critique et non démiurgique.

Notre recherche et intérêt pour les couleurs fluorescentes et en particulier pour la GFP nous ont mené à préciser les codes de ce vert fluo dont le spectre dépend de sa longueur d’ondes. Nous avons d’abord pensé que l’on pouvait retenir la référence du vert dit « lime » (citron vert en anglais), dont le code hexadécimal est #00FF00 équivalent à 0 % de rouge, 100 % de vert et le bleu à 0 %. En l’espace colorimétrique HSL #00ff00 a une teinte de 120° (degrés), la saturation 100 % et la légèreté 50 %. Cette couleur a une longueur d’onde approximative de 549.13 nm et s’approche du vert étudié.

L’EGFP, nous indique Virgile Adam après consultation pour éclaircir ce point, atteint un pic dans sa longueur d’ondes de 507nm correspondant au code hexadécimal #00FF38 et dans le modèle RGB, à 0% rouge, 100% vert et 21.96% bleu. Ce sont donc logiquement ces données que nous avons choisi de retenir pour identifier numériquement ce vert fluorescent EGFP et le point culminant de son spectre (sachant que son spectre est plus élargi bien entendu), dont nous avions imité la couleur de manière empirique en 2017 en peinture digitale et pigmentaire.

La découverte de cette protéine fluorescente a conduit à la découverte d’autres protéines avec d’autres couleurs fluorescentes, enrichissant ainsi la boîte à outils de la microscopie cellulaire, et révolutionnant ainsi la chimie du vivant. Autant de possibles s’offrant en conséquence à l’imaginaire artistique.

Bibliographie

  • Sullivan, K. F., Wilson, L., Kay, S.A., Matsudaira, P. T. Green Fluorescent Proteins, Methods in Cell Biology, volume 58, Cambridge, Massachusetts (Etats-Unis), Academic Press INC, 1998. 386 p.
  • Adam, V., Mechanistic studies of photoactivatable fluorescent proteins: a combined approach by crystallography and spectroscopy, 2009, Submitted on 21 Jan 2010. Doctoral thesis prepared at the European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) https://theses.hal.science/tel-00449332
  • Kac, E. Signs of Life: Bio Art and Beyond, Cambridge, Massachussetts (Etas-Unis,) The Mit press, Édité par Eduardo Kac, 2009. 432 p.

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