La mythanalyse étudie les tensions entre le langage social des couleurs, rationalisé, codé et intégrateur, et ses dérives irrationnelles, ésotériques, subjectives et rebelles. Elle construit ainsi un « indice socio-chromatique » des dynamiques sociales de structuration, déstructuration ou crise.
Mythanalysis studies the tensions between the rationalized, coded and integrating social language of color, and its irrational, esoteric, subjective and rebellious drifts, thus constructing a « socio-chromatic index » of social dynamics of structuring, destructuring or crisis.
La mythanalyse repère, cartographie, interprète nos imaginaires collectifs et les valeurs qu’ils légitiment. Associant la sociologie et la gestation de nos facultés fabulatoires qu’explorent les neurosciences, la mythanalyse identifie les couleurs comme des marqueurs chromatiques (symboliques) des récits mythiques qui induisent nos gouvernances individuelles et collectives.
Elle observe que les couleurs, contrairement aux représentations, subjectivités individuelles fragmentaires que nous en avons actuellement, fonctionnent toujours comme des systèmes liés à nos structures et à nos idéologies sociales, dont l’indice sociochromatique repère les évolutions, rigidités (stabilité) ou déstructurations concomitantes ou décalées (crises). La mythanalyse des couleurs est donc une contribution significative à la compréhension des évolutions historique des sociétés. Elle soutient que les couleurs sont de ce fait des marqueurs idéologiques et que leur repérage et analyse contribue à la sociologie de la connaissance.
Elle souligne que les systèmes chromatiques et leurs usages sociaux ont toujours été strictement codés et sanctionnés à toutes les époques et dans toutes les sociétés par les pouvoirs animistes, religieux, politiques, aujourd’hui capitalistes et numériques, et que le désordre chromatique actuel né avec l’émergence depuis le XIXe siècle de l’individualisme, de la psychologie, de la psychanalyse, de l’anarchisme, du fauvisme, de la subjectivité n’est qu’une brève parenthèse qui se referme déjà avec la massification technologique de nos sociétés urbaines, nous annonçant le retour à un langage chromatique de fausses couleurs réduit, identitaire, signalétique, fonctionnel, intégrateur et gestionnaire, assurant un contrôle social de plus en plus étroit des individus et des usages sociaux.
On pourra se référer à ces idées et analyses que j’ai développées et illustrées dans mon livre Mythanalyse de la couleur, paru en mars 2023 dans la Bibliothèque des sciences humaines de Gallimard, et qui fait suite à Les couleurs de l’occident. De la Préhistoire au XXIe siècle, paru en 2017 dans la Bibliothèque des histoires illustrées, qui portait sur une analyse sociologique des systèmes et des codes de couleurs des sociétés occidentales en relation avec l’évolution de leurs structures et de leurs idéologies. Tandis que ce premier livre portait sur le contrôle social du langage des couleurs par les pouvoirs religieux, politiques, économiques, le second aborde le pôle opposé, l’irrationalité irréductible des couleurs qui relève des mythes et des imaginaires sociaux, ceux que les pouvoirs tentent de réduire à des codes institués de langages intégrateurs, mais qui leur échappent et sont célébrées dans les mystères initiatiques, les médecines douces, la poésie et les arts, nos révoltes, nos subjectivités, jusqu’à devenir des marqueurs de nos différences individuelles.
Les couleurs sont-elles dans la lumière, dans l’œil, dans les objets, dans le cerveau ? Les couleurs ont-elles une efficace magique, comme on l’observe dans les sociétés animistes ? Sont-elles des accidents de la lumière, comme le pensait Aristote, des ombres souillant l’unité de la lumière divine, comme l’affirmèrent des théologiens chrétiens, ou des composantes de cette lumière, que Newton osa décomposer avec un prisme ? Était-ce le début d’une science de la couleur ? Goethe et Schopenhauer s’y objectèrent au nom d’un vitalisme poétique irréductible. Pourtant, la science persévéra en réduisant les couleurs à des fréquences. Les chromatologues s’acharnèrent en vain à les échantillonner, numéroter, à les mesurer selon d’innombrables paramètres et à les géométriser en cercles, triangles, pyramides, cônes, sphères et autres solides, voire en systèmes planétaires. Les médecines douces les traitèrent comme des énergies corporelles fondant une chromothérapie. Les artistes les explorèrent selon leurs effets inconscients, leur musique, leur seule puissance visuelle. Elles sont devenues la liberté de notre regard, de l’artiste, de l’anarchiste, et même des psychotropes. Les couleurs sont toujours en tension entre rationalisation et irrationalité. Elles sont les connotations de nos idéologies, les couleurs de nos mythes.